
Image d’illustration – prise par moi-même
- À 25 ans, Aminata pensait enfin pouvoir souffler. Après des années de sacrifices, elle venait d’obtenir sa maîtrise à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de Bamako. Brillante, discrète et déterminée, elle rêvait d’intégrer le monde professionnel, de s’épanouir financièrement et de mettre ses compétences au service de l’économie de son pays.
Puis vint Ousmane, un jeune enseignant de Sénou, un quartier périphérique de Bamako. Les regards se croisent, les familles s’entendent, le mariage est célébré en octobre 2024, à la fois simple et joyeux. Le début d’un nouveau chapitre… du moins le croyait-elle. Mais à peine quelques mois plus tard, le rêve s’effrite.
La face cachée du foyer
« Tu as été mariée pour t’occuper du foyer. En partant au travail du lundi au vendredi, tu auras du mal à préparer pour la famille, à t’occuper de mes parents et de moi », tranche Ousmane, influencé par les murmures insistants de sa famille.
Aminata venait pourtant de décrocher un poste de caissière dans une entreprise du quartier. Une opportunité modeste, mais capitale. Une première marche vers son autonomie. Mais pour son entourage, sa place était ailleurs. Entre marmite et balai, pas derrière un guichet.
Et surtout, qui gardera les enfants de la maison ? C’est la question implicite que soulève cette opposition. Dans de nombreux foyers, comme celui d’Aminata, les femmes assument seules la garde des enfants, dès le réveil jusqu’au coucher. Ce soin constant, bien que vital, est perçu comme une évidence… et non comme un travail.
Quand l’essentiel ne compte pas
L’histoire d’Aminata n’est pas unique. Elle est le reflet d’un problème structurel : l’invisibilité des soins familiaux domestiques, en particulier la garde des enfants lorsque les parents sont absents. Ce soin, majoritairement assuré par les femmes, englobe l’accompagnement scolaire, la surveillance, l’alimentation, les soins de santé…

Et pourtant, ce travail essentiel n’est ni rémunéré, ni comptabilisé dans l’économie formelle. Selon l’OIT, 42 % des femmes maliennes en âge de travailler consacrent leur temps principalement à ces soins, contre seulement 6 % des hommes (2018).
Ce qui n’est pas mesuré ne peut être valorisé
Le Produit Intérieur Brut (PIB), indicateur phare de la richesse d’un pays, ignore totalement ces soins familiaux. Il ne comptabilise que les activités marchandes. Autrement dit, le travail d’Aminata si elle devient caissière est reconnu. Mais ses heures passées à préparer les repas, surveiller les enfants, s’occuper des malades… n’existent pas officiellement.
Et pourtant, sans ce travail invisible, aucune autre activité productive ne serait possible. C’est ce qu’on appelle la pauvreté en temps : une réalité où les femmes, accaparées par les soins familiaux, n’ont plus assez de temps pour accéder à un emploi, se former ou même se reposer.
Le poids du regard social et de la tradition
Dans des quartiers périphériques comme Sénou, la pression sociale est puissante. Une jeune épouse qui sort travailler peut facilement être perçue comme une femme désobéissante, voire négligente envers son foyer. Cette perception pèse lourd sur les épaules de nombreuses femmes, prêtes à contribuer à l’économie nationale, mais confinées dans une prison de soins invisibles.
Des données disponibles mais peu utilisées
Le Mali dispose pourtant de données solides sur la répartition du temps entre soins et activités professionnelles :
- EMUT (Enquête malienne sur l’utilisation du temps, 2008)
- EMOP et EHCVM, enquêtes régulières
- Rapports de l’ONDD, ONU Femmes et INSTAT
Mais ces données restent sous-exploitées dans les politiques publiques. Le Mali n’a pas encore priorisé l’ODD 5.4, qui appelle à reconnaître et valoriser le travail non rémunéré à travers des services, des infrastructures et des politiques sociales adaptées.
Des solutions existent : l’approche des “3R”
Pour transformer cette injustice silencieuse, les experts proposent l’approche des 3R :
- Reconnaître le travail de soins non rémunéré comme socle de la vie sociale et économique.
- Réduire sa pénibilité par des infrastructures de base (eau, énergie, équipements adaptés).
- Redistribuer les responsabilités entre État, familles, marché et communautés.
Un modèle détaillé dans le guide de PRB sur l’économie du soin.
Et si on changeait le récit ?
Aminata ne devrait pas avoir à choisir entre être une épouse parfaite et une citoyenne active. Elle peut être les deux, si la société s’en donne les moyens. Il ne s’agit pas d’abolir les valeurs familiales, mais de les repenser avec justice et lucidité, dans une ère où les femmes maliennes veulent – et doivent – participer pleinement au développement du pays.
Le foyer ne doit plus être une frontière.
Et vous ?
Avez-vous déjà été témoin d’une situation comme celle d’Aminata ?
ParMahamadou Bagayoko, blogueur
About The Author
Share via:





