9 novembre 2025

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Macrocéphalie infantile : un poids médical et social

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Au Mali, des mères d’enfants atteints de macrocéphalie vivent l’exclusion sociale en plus du combat médical. Face au silence, des voix s’élèvent pour briser les tabous et sauver des vies.

« Badjimé, aide-moi à sauver mon enfant. C’est mon seul bébé… »

capture de la publication de Djimé Kanté

Ce cri du cœur, Djimé Kanté l’a reçu et publié sur Facebook le 19 juin 2025, dans un appel étouffé par les larmes d’une femme. Veuve, rejetée par la famille de son défunt mari, elle n’avait plus que son fils de 7 mois. Mais l’enfant souffrait d’hydrocéphalie, une maladie neurologique mal comprise, qui provoque une croissance anormale de la tête. Au village, on appelait le bébé « Diable ». La mère, elle, était traitée comme une malédiction.

 

Cette histoire n’est pas un cas isolé. Elle met en lumière une maladie médicale souvent invisible dans le débat public, mais terriblement présente dans le quotidien de nombreuses familles maliennes : l’hydrocéphalie ou macrocéphalie chez l’enfant. Derrière le diagnostic se cache un fardeau social, fait de préjugés, de rejet, de douleurs silencieuses.

Une maladie complexe mais traitable

Selon le Dr Diallo Moussa, neuropédiatre au CHU Gabriel Touré, « l’hydrocéphalie est une maladie causée par l’accumulation anormale de liquide céphalo-rachidien dans les ventricules du cerveau. Cela provoque une pression intracrânienne et un gonflement visible de la tête chez le nourrisson, c’est ce qu’on appelle la macrocéphalie » a expliqué Dr Diallo au micro de ma consœur Khadiatou Sanogo.

Si elle n’est pas traitée rapidement, elle peut entraîner des lésions cérébrales irréversibles, des retards psychomoteurs, des troubles visuels ou encore des crises d’épilepsie.

Heureusement, « la maladie est opérable au Mali, principalement par la mise en place d’une dérivation ventriculo-péritonéale (DVP) qui permet d’évacuer le liquide vers l’abdomen », précise Dr Diallo. Mais faute de dépistage précoce et de suivi médical rigoureux, « nous recevons la plupart des enfants à des stades déjà avancés, parfois trop tard » a ajouté Dr Diallo.

Rejet, honte, solitude : le fardeau social

Dans notre société, la maladie est encore trop souvent associée à des croyances mystiques. Beaucoup de mères sont accusées d’avoir « attiré le mal », surtout lorsqu’elles sont jeunes, isolées ou veuves. « Certaines sont expulsées de leur foyer, traitées de sorcières, ou contraintes de quitter leur village », rapporte Djimé Kanté, activiste et travailleur social, dans cette publication.

Dans certains cas, l’enfant est considéré comme un « monstre », un « djinn », et tenu à l’écart des autres. L’exclusion est non seulement sociale, mais aussi affective : les enfants ne jouent pas, les mères ne dorment plus, les familles se brisent.

Une étude menée par le Dr Kalilou Sidibé en 2019 dans le cadre de sa thèse de médecine à la Faculté de Médecine et d’Odontostomatologie (FMOS) a montré que « la situation socio-économique des familles se dégrade fortement après le diagnostic, et 66 % des couples finissent par se séparer en raison de la pression psychologique et sociale liée à la maladie » (Thèse n° 257/FMOS/2019).

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Des chiffres qui inquiètent

Les données disponibles confirment la présence significative de l’hydrocéphalie au Mali. Dans sa thèse, Dr Kalilou Sidibé rapporte que « 11,7 % des enfants hospitalisés au service de neurochirurgie pédiatrique du CHU Gabriel Touré entre 2017 et 2018 présentaient une hydrocéphalie, soit près de 1 enfant sur 9 admis dans ce service ».

Selon la même thèse, la tranche d’âge la plus touchée est celle des nourrissons de moins de 2 ans. Dans plus de 70 % des cas, la malformation est détectée tardivement, après un long parcours médical inefficace, marqué par l’automédication, le recours aux guérisseurs traditionnels ou à des soins inadaptés dans les centres de santé communautaires.

Dr Kalilou rapporte également que le coût moyen d’une prise en charge chirurgicale complète varie entre 300 000 et 500 000 F CFA, sans compter les médicaments post-opératoires, les examens, ni les transports. Pour des familles rurales vivant avec moins de 1 000 F CFA par jour, cela équivaut à une montagne infranchissable.

L’urgence de la sensibilisation

Face à cette réalité, des voix se lèvent. Des médecins comme Dr Diallo, des activistes comme Djimé Kanté, mais aussi des associations tentent de briser le silence.

« Nous organisons des séances de sensibilisation dans les quartiers populaires et les centres de santé, pour expliquer que cette maladie est neurologique et non spirituelle. Il faut former les relais communautaires, les matrones, les imams, pour qu’ils relaient le bon message », insiste le Dr Diallo.

Par ailleurs, une association nationale pour les enfants hydrocéphales est en cours de création, visant à regrouper les familles concernées, offrir une assistance médicale et psychologique, et porter leur voix au niveau des politiques publiques. « Ces enfants doivent être protégés par des lois spécifiques, et leurs soins doivent être subventionnés », plaide Djimé Kanté.

Pour que plus jamais une mère ne supplie : « Sauvez mon enfant »

Le combat contre l’hydrocéphalie ne peut pas être uniquement médical. Il doit être culturel, communautaire, politique et humain. Cela passe par la sensibilisation des populations sur les signes précoces (croissance anormale de la tête, vomissements, somnolence, strabisme, etc) ; la formation des agents de santé et relais communautaires ; le soutien psychologique et matériel aux mères ainsi que la lutte contre les mariages consanguins et les grossesses mal suivies (souvent à l’origine des cas d’hydrocéphalie congénitale).

Naître différent ne devrait jamais être une condamnation sociale. Mais une invitation à l’empathie, à l’action, et à la solidarité.

Par Mahamadou BagayokoTSComCe reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les Droits Humains (JDH) au Mali et NED 

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